<< Introduction Partie 2 : Comment on fait autrement ? >>

 

1 : Pourquoi je pense que la seule mise à l'écart n'est pas une solution pertinente

 

J’ai pu constater, dans les discussions que j’ai eu au sujet de la situation de Martin, ou dans mes lectures, que les violences sexuelles sont tellement perçues comme des comportements extrêmes, violents, rares, que la première réaction vis à vis des personnes dont on sait qu’elles ont commis ce type d’actes, va être de les mettre à l’écart, les montrer du doigt, les stigmatiser.

Je comprends tout à fait que l’émotion puisse nous pousser à avoir de telles réactions, surtout si l’on a été victime, ou proche de victimes de violences sexuelles. J’ai également conscience de ce qu’apporter une telle réponse est une avancée significative dans la prise en compte de la parole des victimes et la visibilisation des violences sexuelles. Pourtant, je crois que de telles réponses sont incompatibles avec le projet politique que nous défendons dans nos milieux, et qu’elles ont des effets néfastes pour la lutte féministe.

A – Des effets allant à l’encontre des intérêts de la lutte féministe.

1- Les violences sexuelles concernent tous les hommes.

Depuis que je réfléchis à ces questions, et que j’en parle autours de moi, j’ai pu recevoir des témoignages d’hommes qui n’étaient pas sûrs d’avoir toujours eu des comportements intègres avec leurs partenaires, et de femmes qui me disent avoir subi des rapports sexuels auxquels elles ne consentaient pas, et ce non pas quelques fois, mais de façon récurrente.

J’ai la même impression quand je regarde mon propre parcours. Je pense à toutes ces fois où, à force d’insistance, un homme a obtenu quelque chose qu’au départ je refusais, à toutes ces fois où j’ai dit oui, non pas parce que j’en avais envie, mais pour lui faire plaisir ou pour préserver notre relation. Je pense à toutes ces fois où la culpabilité m’a fait accepter, où je me suis laissée porter, où je n’ai pas osé exprimer mes envies, ou ne me suis même pas posé la question de ce dont j’avais envie. Je ne suis pas sûre d’avoir une seule fois eu une expérience sexuelle hétéro pendant laquelle mon consentement ait été pleinement respecté, du début à la fin.

Ce n’est pas surprenant quand on pense au schéma si répandu « préliminaires – pénétration - éjaculation », tellement calqué sur le plaisir des hommes, et inadapté à celui des femmes. Depuis toujours, on nous apprend à mettre de côté nos désirs pour satisfaire ceux des hommes, on l’a intégré. Alors à partir de là, comment parler de consentement ?

Les femmes, leurs désirs, leur plaisir et leurs orgasmes. - Noémie Robert

Interactions sexuelles à coercition graduelle. - Noémie Robert

Un podcast à soi – Sexualité des femmes, la révolution du plaisir.

 

J’ai le sentiment que les comportements qui ont été reprochés à Martin sont bien plus répandus que ce que l’on croit. J’ai le sentiment que ce qui le différencie des autres hommes, ce n’est pas tant ce qu’il a fait, mais surtout le fait qu’une victime ait osé en parler.

Les chiffres sur le viol et les agressions sexuelles sont difficiles à interpréter parce que les enquêtes menées sont rares, et parce que leurs résultats dépendent beaucoup de la méthodologie employée, notamment des questions posées. Par exemple, l’emploi des termes « viol » ou « agression sexuelle », renvoyant à un imaginaire particulièrement connoté, aboutit à des résultats assez bas, tandis que lorsque les questions posées concernent des pratiques décrites de manière plus neutre, les chiffres sont bien plus importants :

« Ainsi, si une minorité d’hommes (entre 5 % et 13%) admet avoir violé ou tenté de violer en usant de la force physique ou en prenant l’avantage sur une personne ivre ou droguée, il faut également considérer ceux qui déclarent avoir déjà usé de contraintes plus subtiles (insistance, mensonges, menaces de rompre, etc) pour obtenir un rapport sexuel non désiré de la part d’autrui, et qui représenteraient entre 6 % et 27 % de la population masculine. Enfin, il faut ajouter à ces deux catégories ceux qui n’ont jamais contraint personne à une pénétration sexuelle, mais qui ont commis des attouchements sexuels non désirés, et qui représenteraient entre 10 % et 20 % de la population masculine. Globalement, selon les études, il apparaît qu’entre 25 % et 43 % des hommes disent avoir perpétré au moins une fois dans leur vie une agression sexuelle ou une pénétration par la contrainte. Notons que ces chiffres à propos des agresseurs semblent également souffrir de sous-déclaration, davantage encore que ceux sur les victimes »

Noémie Robert – En finir avec la culture du viol - p38

Les mythes sur le viol et les agressions sexuelles (qui seraient commis par des inconnus, la nuit dans une rue sombre, et entourés de violence par exemple), nous empêchent de voir l’ampleur et la réalité des violences sexuelles. Nous empêchent à nous femmes de qualifier de violences sexuelles ces « mauvaises expériences », ces « sensations de malaise ». Et empêchent les hommes de prendre conscience qu’ils sont des agresseurs, que leur rapport à la sexualité même a été construit sur un modèle violent et qui nie la possibilité d’un consentement véritablement libre.

Par ailleurs, et même au-delà de la question de l’ampleur des violences sexuelles, il me paraît fondamental d’avoir à l’esprit que les hommes, qu’ils soient agresseurs ou non, profitent tous collectivement, des violences commises par certains d’entre eux. Les violences sexuelles, qui sont exercées par des hommes cis, dans le cadre de relations hétéro ne sont pas que l’affaire de comportements individuels, mais bien l’expression du patriarcat en tant que domination systémique. Les violences sexuelles commises par un homme en particulier sont à la fois le résultat de ce système de domination, et un moyen de le faire perdurer et de renforcer son emprise.

Autrement dit, tous les hommes sont (au moins potentiellement) des violeurs, et lorsque l’un d’eux viole, tous en profitent. Virginie Despentes dit qu’ « à chaque fois qu’un mec viole, ça les concerne tous, au sens où c’est leur virilité qui s’assoit là-dessus. Quand ils se trimbalent en ville en maîtres du monde, c’est sur le travail des violeurs qu’il s’appuient ».

Les violences sexuelles sont par conséquent l’affaire de tous les hommes. Tous participent, plus ou moins directement, à leur perpétration, et tous en profitent. Or je crois que pour qu’une réelle évolution ait lieu, nous avons besoin qu’une large part des dominants en prennent conscience et se mettent au travail pour changer leurs représentations.

2- Le féminisme a besoin d’une large prise de conscience, y compris par nos oppresseurs.

Dans les discussions que j’ai pu avoir avec d’autres féministes autours de moi, au sujet de l’éventuelle mise au travail de Martin, un certain nombre d’arguments m’ont été opposés pour écarter cette idée, comme le sentiment d’incompétence et d’illégitimité à mener ce travail (que je partageais, j’y reviendrai plus tard me concernant) et le fait que l’autre collectif semblait avoir prévu de le faire (ce qui n’a finalement pas été le cas, mais cela ne nous a pas pour autant amené à réouvrir la discussion entre nous sur cette question...)

Je me suis aussi souvent entendue dire que les féministes avaient d’autres combats à mener que d’éduquer leurs oppresseurs, et qu’il appartenait aux hommes qui voulaient être de bons alliés, de se prendre en main tout seuls.

Je défends l’idée que nous avons toutes, individuellement, le droit de refuser d’éduquer les hommes qui nous demandent de les former au féminisme. Et mon propos ne vise bien évidemment pas à pousser des personnes qui ne se sentent pas de le faire, à s’impliquer dans l’accompagnement de personnes ayant commis des violences sexuelles.

Cependant, je n’adhère pas à cette idée que l’éducation des hommes ne relèverait pas de la lutte féministe. Il me semble que vouloir aller vers une société réellement égalitaire implique nécessairement une large prise de conscience, et une large mise au travail, y compris de nos oppresseurs. Il me semble que nous ne pouvons pas faire l’économie de nous impliquer sur ce terrain, d’autant que, comme je l’évoquerai plus tard, laisser les hommes faire ce travail seuls, apparaît particulièrement risqué.

Or, s’agissant spécifiquement des violences sexuelles, si nous voulons que les hommes prennent largement conscience qu’ils font tous partie du problème, si nous voulons qu’ils fassent sérieusement évoluer leurs représentations et leurs pratiques, il est indispensable de les inciter à constater les ressemblances, les points communs qu’ils peuvent avoir avec les personnes identifiées comme ayant commis des violences sexuelles, plutôt que de leur permettre de se distinguer d’eux en les pointant du doigt et en les mettant à l’écart.

« Nous aimons à répéter que les violeurs sont des monstres. Que ces gens sont différents, inhumains. C’est rassurant de se dire que seule une créature épouvantable pourrait faire une chose pareille, et que l’on n’a absolument rien en commun avec un homme qui harcèle, qui agresse ou qui viole. Mais en nous distanciant, nous nous déresponsabilisons. Et nous entretenons le mythe que seul quelqu’un de « dérangé » ou de marginal serait capable de commettre un viol ou une agression sexuelle. Les violeurs ne sont pas des êtres maléfiques et étranges, ni des loups solitaires détachés de la société. (…) Ce qui est monstrueux, c’est que je ne connais pas une seule femme qui n’a jamais été touchée, agrippée, caressée, ou embrassée sans son consentement. C’est la place du viol dans notre société qui est monstrueuse. Alors pour nous regarder en face, arrêtons de traiter les violeurs de monstres ».

Moana Genevey – Arrêtons de traiter les violeurs de monstres – Tribune publiée sur Médiapart le 16 octobre 2017

Envisager, comme seule réponse à la révélation d’une violence sexuelle, la stigmatisation, la mise à l’écart, l’exclusion de nos collectifs, peut avoir pour effet de permettre aux autres hommes, ceux qui n’ont pas fait l’objet d’accusation, de s’en dissocier, de se considérer comme extérieurs au problème.

J’ai d’ailleurs pu constater que certains hommes se saisissaient de cette possibilité de manière particulièrement véhémente, prenant prétexte de soutenir les luttes féministes, pour affirmer, et sans doute s’auto-convaincre, qu’ils étaient différents et n’avaient pour leur part rien à se reprocher. (« Martin, j’veux plus qu’il mette les pieds ici. Ce mec est toxique, il a fait tellement de mal autour de lui. C’est pas quelqu’un de fréquentable ! », me dit ce mec que je connais à peine, d’un ton autoritaire. Manifestement son intention est de me faire comprendre qu’il ne faudrait pas que je le fréquente, et qu’il sait sans doute mieux que moi ce qui est bon pour moi…)

Léo Thiers-Vidal fait le même constat, dans un texte dans lequel il analyse les réactions des hommes dans les milieux de gauche radicale, au sujet de l’assassinat de Marie Trintignant par Bertrand Cantat :

« L’absence d’une culture de responsabilité, de retours politiques critiques sur soi – ses pratiques, ses émotions, ses désirs, ses objectifs – toujours justifiée au nom d’une cause considérée seule politiquement légitime permet, entre autres, à ces hommes de construire un sentiment moral de puissance, d’intégrité, d’authenticité individuelles devenues synonymes de capacité à agir politiquement sur le monde. Or c’est précisément parce que l’interrogation féministe – en particulier sur le mode " le privé est politique " - bloque ce sentiment moral d’intégrité et d’authenticité, et qu’elle introduit une perception contradictoire de soi comme entre autres négatif, destructeur, violent et égoïste… que les hommes de gauche refusent majoritairement une lecture politique incarnée des rapports sociaux de sexe. S’intégrer soi à cette lecture comme faisant profondément et structurellement partie du problème semble être vécu comme incompatible avec l’engagement politique radical : on ne pourrait et faire parti du problème et vouloir contribuer à sa résolution. Adopter une perception de soi qui est négative et positive et qui oblige avant tout à déplacer la question vers les pratiques et leurs conséquences politiques sur la vie des autres semble alors devenir synonyme de psychologisation, de dépolitisation, de culture chrétienne/stalinienne de culpabilité – ce qui est paradoxal puisque cette culture de l’irresponsabilité sert précisément à sauvegarder un sentiment moral d’intégrité et d’authenticité.

L’analyse féministe des rapports sociaux de sexe invite en effet les hommes à se percevoir comme faisant profondément parti du problème, comme constituant un obstacle structurel à une société égalitaire. Elle invite les hommes à se percevoir non tant comme des individus mais avant tout comme des membres d’un groupe social, grandement dépourvus d’individualité. La réaction masculine courante à l’interrogation féministe consiste alors à dire : " Oui, mais moi je suis différent. D’ailleurs, je l’ai demandé à ma copine, et moi je ne suis pas comme ça. Je vous l’assure, je fais bien la vaisselle ". Un enjeu central d’une lecture anti-masculiniste incarnée des rapports sociaux de sexe consiste alors, à mon avis, bien au contraire à se dire " J’ai beaucoup plus de choses en commun avec Bertrand Cantat que de différent. Les actes meurtriers de Cantat en disent beaucoup plus sur ma façon de vivre et d’agir que je ne veux bien reconnaître ". C’est en effet lorsqu’ils acceptent de se percevoir comme partie intégrante d’une réalité sociologique oppressive que les hommes de gauche peuvent commencer - à l’aide des analyses féministes - à interroger cette réalité depuis leur position vécue, puis à transformer leur façon d’agir et celle de leurs pairs. Il s’agit donc de relire leur vécu et leurs pratiques à travers l’hypothèse que ceux-ci relèvent plus souvent de l’oppression que non plutôt que d’effectuer une telle relecture en postulant une rupture qualitative avec " les machos " ».

Léo Thiers Vidal - Culpabilité personnelle et responsabilité collective

En particulier, l’exclusion de nos collectifs, envisagée comme solution pour rétablir un espace « safe », peut permettre par la même occasion aux hommes dont la présence est acceptée dans ces espaces, de justement se considérer comme ne posant pas problème. Leur permettre de participer à la décision d’exclure l’un d’entre eux parce qu’il a commis une violence sexuelle, peut leur donner également l’occasion d’avoir le sentiment d’être de bons alliés, d’avoir fait leur part pour lutter contre les violences sexuelles, et donc de s’arrêter là.

Je ne rejette pas purement et simplement la solution de l’exclusion. Elle peut bien entendu être indispensable, au moins dans un premier temps, pour tenir compte des besoins de la victime, et permettre un cadre de réflexion plus serein. C’est envisager cette solution comme seule réponse, sans prévoir la mise au travail de la personne ayant commis les violences sexuelles qui ont été dénoncées, mais aussi de tous les autres hommes du collectif, qui ne me satisfait pas. Par ailleurs, concevoir cette solution comme définitive, sans envisager des démarches visant à permettre le retour de la personne qui a été exclue si les conditions le permettent plus tard, est contraire à l’idéal politique que je porte.

B – C’est incompatible avec le projet politique que je défends.

Lorsque l’on s’interroge sur la réponse à apporter à une situation de violence sexuelle à l’échelle d’un collectif, la solution de l’exclusion peut apparaître envisageable en pratique parce qu’elle peut être mise en œuvre simplement et qu’elle peut sembler répondre au mieux aux besoins immédiats, de protéger la victime, de résorber le trouble que la révélation de la violence sexuelle a pu susciter au sein du groupe, et d’affirmer le caractère inacceptable de ce type de comportement.

Pourtant, il me semble indispensable de s’interroger sur le sens politique du choix d’une expulsion « sèche », qui pour moi ne peut être compatible avec l’idéal que je poursuis, d’une société égalitaire et débarrassée de tout rapport de domination et d’exploitation.

Nombre de travaux sociologiques viennent démontrer que nos comportements sont imprégnés de la socialisation que nous avons reçu, en fonction de notre classe sociale, de notre race, et de notre genre notamment. La société (et donc nous collectivement), porte par conséquent une responsabilité déterminante dans la commission des violences sexuelles.

Or, se contenter d’exclure une personne ayant commis des violences sexuelles, et donc la renvoyer à sa seule volonté individuelle pour faire évoluer ses comportements, revient au contraire à considérer qu’elle est seule responsable des actes qu’elle a commis (et par la même occasion de « laver » la communauté de toute responsabilité), et donc à nier le déterminisme et le rôle des constructions sociales qui ont pourtant été à l’œuvre.

Je ne partage pas cette vision des choses, qui met toujours l’accent sur l’individualisme et la responsabilité personnelle, et donc sur la sanction comme seule réponse à des comportements jugés comme inacceptables.

A l’échelle d’une situation individuelle, celle de Martin que nous avions à réfléchir, il semble que dans l’esprit des femmes avec qui j’en parlais, envisager un accompagnement entrait en contradiction avec la préoccupation première, qui était de tenir compte des besoins de sa victime. Entamer ce travail avec lui revenait à continuer à le fréquenter et lui accorder de la considération, alors que la priorité était de recréer un espace sûr pour sa victime, et lui manifester notre soutien, ce qui impliquait plutôt un mouvement de mise à l’écart, d’expulsion de Martin de nos cercles.

Il y a plusieurs années, j’ai été victime d’une agression sexuelle par un homme avec qui j’étais en couple. Cette agression a été suivie de plusieurs mois pendant lesquels il me harcelait alors que j’avais mis fin à notre relation. Je n’étais jamais tranquille, je craignais sans cesse de le croiser à chaque coin de rue. J’ai fini par déménager pour que le harcèlement cesse. Cinq ans plus tard, je suis revenue vivre dans la ville dans laquelle nous habitions, sans savoir s’il y résidait toujours ou non. Pendant plusieurs mois, j’imaginais sans cesse le croiser à nouveau dans la rue, je croyais le reconnaître dans le visage d’inconnus, il m’a fallu du temps pour me sentir complètement rassurée. Je crois donc savoir ce que peut représenter ce besoin de sécurité, et j’espère qu’on ne me reprochera pas de traiter cette question à la légère.

Malgré tout, dans le cas de Martin, la question ne me semblait pas se poser du fait des décisions qu’il avait prises de lui-même lorsque l’accusation de viol avait été portée à sa connaissance : ne pas remettre en question la parole de sa victime, ne pas chercher à la contacter, quitter le milieu militant, et quitter la ville (d’abord provisoirement, puis il a définitivement déménagé dans une autre ville).

Pour moi, insister en décidant de l’exclure, qui plus est sans sérieusement envisager de lui proposer une quelconque forme de mise au travail, ne me semblait rien apporter de plus en pratique pour la victime (sauf peut-être une utilité symbolique, qui bien sûr peut avoir toute son importance, si elle avait manifesté ce besoin, mais ce n’était pas le cas à ma connaissance), et n’avait donc en réalité pour objectif que de le sanctionner.

Dans les milieux militants que je fréquente, et les situations qui ont été portées à ma connaissance, ces sanctions ont pu prendre la forme d’une mise à l’écart, d’une exclusion, d’une injonction plus ou moins formelle à quitter la ville, d’un refus ou d’une réticence à conserver des liens avec la personne ayant commis des violences sexuelles…

Encore une fois ces sanctions peuvent paraître acceptables à l’échelle d’un collectif, parce qu’on se dit que les conséquences pour la personne ne sont pas si énormes et qu’elle pourra continuer à avoir une vie plus ou moins normale en dehors de ces cercles. Mais il me semble fondamental que, dans la mesure de nos moyens, nous réfléchissions à la cohérence entre les principes et valeurs que nous défendons d’une part, et nos pratiques internes d’autre part.

Or, soutenir comme seule réponse l’exclusion d’un groupe, si nous la généralisons à une échelle plus large, nous mène inévitablement à soutenir qu’il faudrait exclure de la société toutes les personnes ayant commis des violences sexuelles, voire d’autres infractions. Quelle forme prend cette exclusion à l’échelle d’une société ? La prison, l’exil forcé comme le pratiquaient les anglais vers l’Australie, la peine de mort ?

Pour moi, même si on est bien sûr à des échelles différentes, l’exclusion sans accompagnement, et sans perspective organisée de retour dans le collectif, relève de la même logique que ces solutions répressives, que dans d’autres contextes mes camarades critiquent pourtant de manière très véhémente.

L’exclusion comme seule réponse ne m’apparaît par conséquent ni cohérente avec le projet politique que je défends, ni même rationnellement envisageable, si l’on a bien à l’esprit, comme j’ai déjà pu l’évoquer, que les violences sexuelles sont un problème bien plus répandu que ce qu’on imagine souvent.

Pour moi, il n’y a pas d’autre solution que d’envisager la résolution d’une situation de violence sexuelle en poursuivant l’objectif de maintenir, ou permettre plus tard le retour au sein de la communauté de la personne ayant commis lesdites violences, ce qui revient nécessairement à travailler un retour à un cadre serein et sécurisant pour tout le monde, sans que ni la victime, ni l’auteur n’aient à quitter définitivement le groupe.

Dans cette perspective, on ne peut à mon avis tout simplement pas faire l’impasse sur l’accompagnement des personnes ayant commis des violences sexuelles, pour leur permettre une prise de conscience, et espérer une évolution de leurs représentations et de leurs pratiques.

 

<< Introduction Partie 2 : Comment on fait autrement ? >>